Présentateur : Laurence Dufour, vous avez écrit un livre, La Médecine 2.0. De quoi s'agit-il ?
Mme Dufour : Alors que la médecine traditionnelle s'appuie sur l'observation individuelle, la médecine 2.0 est asservie à la collecte de masse des données pour combattre la maladie. En plein boom, cette recherche de pointe, financée par des entreprises privées très puissantes, véhicule beaucoup de fantasmes. C'est le cas de cette course à l'immortalité. En effet, cette nouvelle forme de médecine pose des questions éthiques fondamentales car elle est loin d'être désintéressée.
Présentateur : Pourtant la médecine cherche à améliorer nos conditions de vie…
Mme Dufour : Effectivement, il y a de bonnes choses dans cette médecine 2.0 : la recherche avance à grands pas grâce aux investissements immenses réalisés, de sorte que les médecins peuvent tirer plus rapidement et efficacement des conclusions et donc mieux traiter les patients. On ne peut que s'en réjouir.
Présentateur : Dans ce cas, de quoi accusez-vous la médecine 2.0 ?
Mme Dufour : Il serait absurde de croire que ces entreprises œuvrent uniquement au bien-être de l'humanité. Le problème est que ces recherches se font hors de tout contrôle étatique et suivent les lois du marché. Rendez-vous compte : le business de la médecine est estimé à 10 800 milliards de dollars par an.
Présentateur : C'est effectivement une somme énorme !
Mme Dufour : D'autant plus que ce marché émergent ne devrait pas s'arrêter de croître. Les enjeux financiers sont considérables et l'emportent sur la dimension humaniste. Le secteur qui se développe le plus est celui de la médecine prédictive, alors même qu'elle repose sur l'idée scientiste erronée qu'on pourrait réduire l'humain à la somme de ses gènes et tout expliquer grâce à l'ADN. Le séquençage du génome de chaque patient, au terme d'une libéralisation des données génétiques, serait ensuite vendu auprès de partenaires tels que les développeurs d'applications en lien avec la santé et le bien-être, les laboratoires, les assureurs, les banquiers, voire les employeurs. Et pourquoi pas les potentiels compagnons ou compagnes ? Jusqu'où ira-t-on ? Que se passera-t-il si on ne répond pas au standard génétique ? On pourrait se voir refuser un travail, un prêt, une assurance, un mariage… De nombreuses dérives sont imaginables ! C'est pourquoi il est urgent d'encadrer ces recherches mieux qu'elles ne le sont actuellement.
